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Publié le 17 - 01 - 2022

    Arc France : la sortie de crise

    Après s’être remise d’erreurs de management importantes, la prestigieuse verrerie française repart de l’avant. Explications et analyse avec Élisabeth Jacques, déléguée syndicale centrale CFE-CGC d’Arc France.

    Que se passe-t-il à Arc France ? C’est la question que l’on pouvait se poser ces derniers mois. Leader mondial des arts de la table, puissance économique majeure dans le Nord de la France avec 5 000 salariés, la société a battu de l’aile dans les années 2010, au point qu’un PSE de 200 postes avait été présenté aux syndicats en janvier 2015.

    Puis elle avait donné l’impression de se redresser à la faveur d’une reprise par un nouvel actionnaire, l'américain Peaked Hill Partners, et d’un accord pluripartite entérinant une réduction de sa dette de 280 à 62 millions d’euros et une recapitalisation de 58 millions d’euros. Avec, à la clé, un scénario de relance qui prévoyait la création de 233 postes sur le site historique d’Arques, dans le Pas-de-Calais, à mi-chemin entre Lille et Boulogne-sur-Mer. Depuis, la fabrique de verres semblait repartie du bon pied. Sachant aussi qu’en 2020, du fait de la situation sanitaire, il a fallu refinancer un accord avec les fonds souverains, l'investisseur principal (Dick Cashin) et les institutionnels, ce qui consolidait encore l’entreprise.

    Las, en septembre 2021, Arc International annonçait contre toute attente être de nouveau en quête de financements. La requête avait fait sourciller la ministre de l'Industrie Agnès Pannier-Runacher qui avait eu beau jeu de répliquer en évoquant « des carnets de commandes remplis à bloc… »

    En décembre dernier, un accord était néanmoins trouvé pour un montant de l'ordre de 45 millions d'euros incluant 16 millions d’euros d’apport en fonds propres de la part de Dick Cashin, 16 millions d'euros de prêts publics et 13 millions de prêts privés. Mais pourquoi le besoin d’une telle perfusion ?

    CONTRE L’AVIS DU CSE, DEUX PROJETS DÉFAILLANTS DE RESTRUCTURATION

    Pour Élisabeth Jacques, la déléguée syndicale centrale CFE-CGC d’Arc France, l’explication est limpide : « Nous étions sur la voie du redressement, en passe d’atteindre un résultat positif. Les efforts des salariés et de l’actionnaire portaient leurs fruits. Mais le 19 juin 2021, notre directeur général de l’époque, Tristan Borne, lançait contre la volonté du comité social et économique (CSE) et de façon concomitante deux projets de restructuration en profondeur : la mise en place d’un ERP logistique qui était dans les cartons depuis longtemps (le projet Manhattan) et l’externalisation de notre cartonnerie. Toutes les difficultés sont parties de là. »

    Un ERP (Enterprise Resource Planning) permet de réorganiser toute la gestion d’une entreprise à travers un progiciel intégré. Quand cela marche c’est formidable, mais quand les palettes de cartons de verres partent à un bout de l’usine alors que les camions attendent de l’autre côté, c’est compliqué. « Cela a créé un bazar pas possible dans les stocks, image la militante. Résultat : les clients n’étaient plus livrés correctement. »

    En ce qui concerne la cartonnerie, Jacques Durand (1906-1997), le fondateur d’Arc France, avait toujours souhaité garder en interne cette activité vitale dans une telle industrie. On ne peut pas déplacer un verre sans un carton sinon il casse. La cartonnerie intégrée employait une centaine de personnes. La direction l’a externalisée, ainsi qu’un certain nombre de ses salariés, contre l’avis du CSE (dont le secrétaire est un militant CFE-CGC, Patrice Bollengier) qui a voté contre en considérant que cela relevait du cœur de métier. Ensuite, les livraisons du cartonnier local n’ont pas suivi le rythme de production. Bilan : « des verres à même les palettes et une désorganisation complète », résume Élisabeth Jacques.

    LA CFE-CGC MONTE AU CRÉNEAU

    Fin juin 2021, la CFE-CGC tire la sonnette d’alerte. Un CSE extraordinaire se réunit début juillet. La direction rétorque que les choses se mettent en place. L’été aggrave la situation. Début septembre, saisissant l’opportunité de son mandat au Comité national de l’industrie (CNI), Elisabeth Jacques remet en main propre à la ministre Agnès Pannier-Runacher un courrier décrivant la situation. Conséquence ou coïncidence, une semaine plus tard, le directeur général et le directeur des opérations quittent l’entreprise.

    Aujourd’hui, les cartons sont revenus en interne et les équipes ont été réintégrées. Le projet Manhattan, lui, continue. Il est « en voie d’amélioration, reconnait Élisabeth Jacques, mais avec un coût de rattrapage (temps, moyens humains et matériels conséquents), sans compter la perte de crédibilité, de marge et de service pour les clients ! »

    Pour l’élue, ce sont uniquement ces deux problématiques qui expliquent le souci financier. « Quand vous ne livrez plus vos clients, il n’y a plus d’argent qui rentre. Et comme nous sommes toujours un peu sur la corde raide parce que nous n’avons pas beaucoup de fonds de roulement, il suffit de quelques mois pour piquer du nez. »

    Sur le plan marketing et commercial, Arc France est une entreprise qui se porte bien. Elle a créé des gammes de produits légers et accessibles, avec notamment un gros travail sur le verre recyclable et les contenants alimentaires. Les commandes affluent effectivement.

    Sur le plan social, Arc continue d’embaucher des jeunes pour rééquilibrer sa pyramide des âges. Les négociations annuelles obligatoires de fin 2020 avaient débouché sur zéro augmentation de salaire. Celles de fin 2021 ont permis de débloquer 1 % pour tous les salariés (cadres compris) à compter du 1er janvier 2022, plus 1 % en juillet pour les non-cadres et 1 % pour les cadres en augmentations individuelles. Autrement dit, tous les non-cadres toucheront 2 % d’augmentation en 2022 et les cadres auront 1 % en plus de l’individuel pour certains. « Sans ces erreurs de gestion, il y aurait eu davantage », conclut Élisabeth Jacques.

    Gilles Lockhart