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Publié le 15 - 03 - 2021

    À l’ONF, des coupes sombres dans le dialogue social

    Laminage des effectifs et des missions de service public : telle est la dure réalité au sein de l’Office national des forêts, gardien du patrimoine forestier français. Éclairages avec Arnaud Metais, coordinateur EFA-CGC.

    La situation actuelle à l’Office national des forêts (ONF) a pour trame de fond le laminage des services publics en France. À l’instar de ce qui s’est passé et se passe encore dans des institutions comme Orange (ex-France Telecom) ou EDF, consistant à réduire le nombre de fonctionnaires pour donner la part belle au privé.

    L’ONF est organisée, tout comme ces deux mastodontes, avec une double composante d’agents de la fonction publique et de salariés du privé. Étant donné ses activités, lorsqu’on réduit ses effectifs, on touche au patrimoine naturel de la France : chênes séculaires, anciennes forêts royales ou abbatiales qui perdent des serviteurs pour les entretenir. L’enjeu psychologique pour les forestiers est donc double, comme l’explique Arnaud Metais, coordinateur ONF du syndicat EFA-CGC : « Nos agents sont cisaillés par des réorganisations permanentes et en même temps ils voient l’héritage français se dégrader. » EFA-CGC pèse dans le dialogue social de l’entreprise : le syndicat est leader dans le collège cadres et en progression constante depuis dix ans sur la partie fonction publique de l’ONF.

    Tous les services sont réduits à l'os »

    Depuis 2008, il ne se passe pas un ou deux ans sans que l’ONF soit touché par une réorganisation à l’échelle d’une population, d’un territoire ou de la France entière. « Personne ne s’y retrouve et cela s’opère à chaque fois en supprimant des postes. Tous les services sont réduits à l’os », déplore Arnaud Metais. Lui-même, ingénieur de l’agriculture et de l’environnement, a rejoint l’ONF en 2003 comme responsable environnement dans une agence. Il a ensuite pris en charge l’équipe territoriale d’Épinal, responsable de 15 000 hectares de forêts autour de la ville et de 12 techniciens forestiers territoriaux, avant de passer en détachement syndical à temps plein en 2015.

    Alors que l’ONF est placé sous une double tutelle ministérielle - celle de l’Agriculture (pour la partie budgétaire) et celle de l’Ecologie - une des composantes du problème réside dans la volonté de l’État de filialiser des activités comme celles des agences de travaux forestiers qui emploient quelque 2 200 ouvriers forestiers (bûcherons, élagueurs, sylviculteurs). Ces agences opèrent en partie sur le marché privé concurrentiel et représentent à peu près un tiers des activités de l’ONF. La manœuvre consiste à transférer leurs salariés vers une petite filiale existante qui serait amenée à grossir, « tout en disant qu’on ne crée pas de nouvelles filiales, ce qui est une belle hypocrisie », s’insurge Arnaud Metais. Ou bien à faire évoluer leurs salariés vers des postes de gestion forestière, ou à attendre qu’ils partent en retraite sans les remplacer…

    Illustration du désordre qui règne dans la canopée administrative, le contrat de plan avec l’État qui devait entrer en vigueur au 1er janvier 2021 ne contient encore aucun élément tangible communiqué aux syndicats. Sa mise en place est dorénavant annoncée vaguement pour le premier semestre.

    Quant à « l’abandon progressif des missions de service public » que dénonçait l’intersyndicale de l’ONF dans un communiqué commun du 27 janvier dernier, il se traduit par exemple par un problème de surveillance du domaine forestier. L’ONF a toujours eu un rôle de protection des massifs contre les agressions extérieures : coupes de bois illégales, pâtures sauvages de bétail jadis, etc. Aujourd’hui, la réduction du nombre d’agents rend matériellement impossible le contrôle de la pénétration des véhicules en forêt (quads, moto, VTT qui ne respectent pas les chemins) ou celui des opérateurs d’abattage automatique de résineux. « Je suis convaincu qu’il sort plus de bois de la forêt qu’on en vend », résume Arnaud Metais.

    BOYCOTT DU PLAN STRATÉGIQUE ET PLAINTE DANS LES TUYAUX

    En 2020, un gros chantier de plan stratégique a été lancé par la direction. L’EFA-CGC l’a décortiqué, analysé et a proposé toute une série de pistes possibles. « Mais vu la non prise en compte de nos propositions par le directeur général, nous avons été contraints de rentrer, début 2021, dans une phase de boycott de toutes nos instances nationales représentatives du personnel, en accord avec la plupart des autres syndicats, indique le coordinateur de l’EFA-CGC. On nous balade depuis un an et par ailleurs, nous n’avons aucun retour sur nos alertes concernant la santé du personnel… »

    Par ailleurs et comme annoncé dans le communiqué de l’intersyndicale de l’Office national des forêts le 27 janvier, les représentants du personnel ont décidé de saisir la justice pour placer les décideurs devant leur responsabilité. Une plainte va donc être déposée, sans que le motif juridique soit encore fixé, probablement pour « mise en danger de la vie d’autrui » au vu de la dégradation des conditions de travail et de la maltraitante sociale interne, comme chez France Telecom (procès gagné) ou General Electric (instruction en cours). « Même s’il ne faut pas perdre de temps, nous souhaitons que cette procédure avance sûrement, explique Arnaud Metais. Nous cherchons à faire en sorte qu’elle ait le plus de chances d’aboutir. »

    Gilles Lockhart