Retour aux actualités précédentes
Publié le 19 - 11 - 2019

    "La réforme des retraites ? La goutte d’eau qui fait déborder le vase"

    À l’approche de la grève intersyndicale du 5 décembre, le délégué syndical central CFE-CGC à la RATP, Frédéric Ruiz, évoque la situation de l’entreprise et un personnel d’encadrement toujours plus pressurisé.

    Pourquoi la CFE-CGC de la RATP s’associe-t-elle à la grève du 5 décembre prochain ?

    Je voudrais d’abord indiquer que nous sommes en parfaite harmonie avec la position de la Confédération qui, même si elle ne s’associe pas au niveau national, soutient les fédérations qui rejoignent le mouvement. Notre rôle est de défendre le personnel d’encadrement et, plus largement, les classes moyennes et les classes moyennes supérieures. Or ces catégories sont soumises à une pression qui augmente sans cesse et elles sont de moins en moins reconnues. J’en veux pour preuve, au sein de l’entreprise, la pratique d’un management plutôt violent vis-à-vis de l’encadrement, sur la forme comme sur le fond.

    Comment illustrez-vous cela ?

    Sur la forme, on constate un mépris des corps intermédiaire : les relations avec la direction se sont dégradées depuis une époque qu’on peut situer peu après le départ de Pierre Mongin (président de la RATP de 2006 à 2015, ndlr), après des dizaines d’années de climat social satisfaisant. Sur le fond, la RATP fait partie de ces entreprises dont « l’élite » européenne et française ne veut plus. Nous sommes devenus « obsolètes » et il faut donc transformer au pas de charge cette entreprise en remettant en cause sa culture profonde. Mais les faits démentent cette supposée inadaptation. Nous sommes au contraire une entreprise publique qui a démontré sa capacité d’innovation, à l’image de la création de la ligne 14 automatisée et de l’automatisation de la ligne 1 sans rupture d’exploitation. Il s’agit d’un exploit dont la réussite est intimement liée à notre organisation multimodale intégrée. Au lieu d’acter ces savoir-faire, on nous entraîne dans une désintégration.

    Parallèlement, l’encadrement subit un plan de productivité qui n’a d’autre but que de réduire la masse salariale. Ajoutez le projet de transformation intégrale du siège de la RATP en flex-office, mal concerté sans attendre les retours d’expériences effectués, et vous avez une idée de la façon dont la direction remet en cause une culture d’entreprise qui a fait ses preuves.

    « UN MANAGEMENT VIOLENT VIS-À-VIS DE L’ENCADREMENT »

    En général, la CFE-CGC ne se résout à la grève qu’en dernier ressort…


    Peut-être, mais nous sommes confrontés à un problème de moyens d’action. Nous avons en face une direction et des pouvoirs publics qui nous considèrent comme des empêcheurs de danser en rond, que l’on dérange, qui préféreraient qu’on ne soit pas là. Pour nous écarter, et faute de négocier réellement, ils nous font le procès d’être déphasés par rapport aux gens ou à l’époque… La réforme des retraites est un peu la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Elle s’ajoute à un chamboulement permanent du Groupe RATP qui ne laisse plus aucun moment de stabilité. Dans ce contexte, nous nous sommes concertés avec les deux autres syndicats représentatifs, la CGT et l’UNSA, pour savoir que faire. Nous ne pouvions pas rester en marge d’un mécontentement sourd. Malgré toutes les pressions subies par l’encadrement, le niveau de grève du 13 septembre dernier a été important et efficace. Nous nous devions de rester unis et cohérents dans un mouvement collectif.

    Quel serait l’impact de la réforme du régime universel sur les salariés du Groupe ?

    Nous pensons que ce régime universel va être défavorable à la totalité de nos collègues : les 90% qui dépendent du régime RATP et les 10% qui sont au régime général. À la RATP, il y a une culture de la promotion sociale en interne. Comme les salaires initiaux ne sont en général pas très élevés, le fait de calculer la retraite sur les six derniers mois de salaire permet d’acter ces évolutions. En calculant la retraite sur la totalité de la carrière avec un système de points engrangés au fur et à mesure, on va tirer vers le bas tous les salariés qui auront progressé dans leur carrière.

    Par ailleurs, il y a de nombreux mensonges par omission dans le rapport Delevoye. Quand on y lit que la réforme garantit les droits acquis, en réalisant une liquidation fictive au 31 décembre 2024, un examen technique de la question montre que c’est faux ou qu’il manque des éléments. Tout n’est pas à jeter dans cette réforme : la revalorisation des basses pensions part d’un bon sentiment. Mais il s’agit de sujets complexes, difficiles à expliquer, sur lesquels le gouvernement pratique une communication démagogique. Ce alors que des dossiers de cette ampleur mériteraient un travail approfondi et une vraie négociation pour trouver les justes réponses.

    « CE RÉGIME UNIVERSEL VA ÊTRE DÉFAVORABLE À LA TOTALITÉ DE NOS COLLÈGUES »

    Comment assumez-vous le risque d’impopularité en cas de grève dure ?


    L’opinion publique réalise qu’il ne s’agit pas seulement des syndicats de la RATP défendant leurs droits acquis. Les témoignages de personnes irascibles sur les réseaux sociaux sont des manifestations extrêmes. Nous recevons aussi de nombreux témoignages de soutien. Au-delà de la retraite, il me semble que les gens comprennent que nous voulons avoir notre mot à dire dans les changements de société qu’impose le gouvernement : réformes brutales du Code du travail, des institutions représentatives dans le monde du travail, de l’assurance-chômage, maintenant des retraites… Tout y passe depuis deux ans et demi et ce sans négociations ! Les syndicats de la RATP ont programmé cette date du 5 décembre en intersyndicale avec l’espoir que d’autres nous suivront et qu’il y aura un effet boule de neige pour faire pression. SNCF, Industries électriques et gazières (IEG), mouvements étudiants, gilets jaunes… Nous verrons bien ! 

    Propos recueillis par Gilles Lockhart

    LA CFE-CGC, UN ACTEUR DE POIDS À LA RATP

    • La CFE-CGC est, avec la CGT et l’UNSA, un des trois syndicats représentatifs à la RATP, FO, la CFDT et Sud n’ayant pas passé la barre requise lors des élections professionnelles de 2014 ou 2018. Lors du dernier scrutin en novembre 2018, la CFE-CGC a obtenu 33,84 % sur l’encadrement (cadres et agents de maîtrise), 10,43 % tous collèges confondus.

    • Frédéric Ruiz est président de la CFE-CGC Groupe RATP depuis janvier 2013. Il est également président de la Fédération Transports CFE-CGC depuis avril 2019. Entré à la RATP en 1983, militant CFE-CGC depuis 2006, il a exercé diverses fonctions de cadre puis de cadre supérieur, s’occupant notamment des politiques de rémunération à la RH, de contrôle de gestion, de la politique des achats du Groupe. Il est diplômé de l’Essec.