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Publié le 11 - 12 - 2020

    « Une petite lueur d’espoir pour Jacob Delafon »

    Le groupe américain Kohler a annoncé la mise en vente de ses usines Jacob Delafon de Damparis (Jura) et Reims. Il veut conserver la marque mais délocaliser la production. Le point avec Rodolphe Gomis, élu CFE-CGC au CSE de Kohler France.

    Comment avez-vous réagi à l’annonce de Kohler en septembre dernier, qui pourrait acter la fin de 130 ans de fabrication française de céramique sanitaire de qualité ?

    Au-delà de la surprise et de la déception, mes collègues de la CFE-CGC, les élus de notre syndicat au comité social et économique (CSE) et moi-même avons tout de suite mobilisé les acteurs publics. J’ai notamment rédigé une lettre à l’intention du Premier ministre, Jean Castex, pour lui rappeler l’histoire de la marque Jacob Delafon, la tradition de qualité qu’incarne le site de Damparis depuis 1899, et pour lui faire remarquer que les salariés avaient accueilli l’annonce de la fermeture de leur lieu de travail avec esprit de responsabilité puisqu’ils n’ont fait qu’un seul jour de grève.

    Sébastien Peron, président de l’Union régionale CFE-CGC Bourgogne Franche-Comté, nous a ensuite mis en contact avec le député du Jura, Jean­-Marie Sermier (LR). Ce dernier a interpellé le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, en séance à l’Assemblée nationale, et lui a remis en main propre notre courrier. Cela a été le point de départ de tout un travail conduit en lien avec la Confédération CFE-CGC, qui nous a permis de porter l’affaire à haut niveau.

    Où en est-on aujourd’hui ?

    La presse a fait état d’un potentiel repreneur et je peux vous confirmer qu’il y a bien, en effet, le groupe Kramer WTS, fortement orienté sur le « fabriqué en France », qui s’est fait connaître et avec qui des discussions sont en cours. Il a compris, dans la façon dont la CFE-CGC a défendu ce dossier depuis septembre, qu’il avait affaire à des syndicalistes raisonnables et motivés par la continuité de l’activité. Maintenant, je pense qu’il est beaucoup trop tôt pour donner de faux espoirs aux gens. Ce repreneur éventuel étudie des business plans. Nous sommes passés d’une impasse totale à une toute petite lueur d’espoir.

    Quelles sont les hypothèses sur l’emploi ?

    Il faut savoir que le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) a été lancé et que la procédure de recherche de repreneur obligée par loi Florange l’a également été début décembre. Les réunions légales R0 et R1 se sont tenues et nous sommes en train de nous pencher sur les livres 1 et 2. À ce stade, le plan prévoit la fermeture du site de Damparis, soit 146 postes supprimés, à quoi s’ajoutent 29 postes sur le site de Reims consacrés à la robinetterie, et 22 autres au siège social en Seine-Saint-Denis, dont nous avons découvert, hélas début décembre, qu’ils étaient inclus dans le PSE.

    Le repreneur est intéressé par le savoir-faire local de Damparis. S’il concrétise, il est probable qu’il ne puisse pas préserver la totalité des emplois, mais on peut espérer qu’il en subsiste un nombre important. Pour fabriquer de la céramique sanitaire haut de gamme (lavabos, vasques, WC…), il faut un effectif incompressible et il y a des métiers qui ne peuvent être remplacés : modelage, matriçage, coulage, émaillage, enfournement et cuisson…

    Jacob Delafon à Damparis est une entreprise plus que centenaire qui est un peu comme une PME familiale »

    Comment les salariés vivent-ils la situation ?

    Jacob Delafon à Damparis est une entreprise plus que centenaire qui est un peu comme une PME familiale : il y a des salariés dont le père et le grand-père ont travaillé là, des gens de milieux modestes, qui ont 45 ans, qui ont soulevé des pièces de 50 kilos tous les jours et qui en portent les conséquences physiques. Ce ne sont pas des cadres de la Tech : ils n’auront pas beaucoup de débouchés sur place si l’usine ferme et ils auront du mal à faire déménager toute leur famille à 100 kilomètres ou plus. Il y a donc un enjeu social extrêmement fort et pour lequel j’ai des inquiétudes réelles.

    Quels seraient les scénarios de délocalisation s’il n’y avait pas de repreneur ?

    Si Kohler ferme Damparis, il faut que les Français sachent que quand ils achèteront du Jacob Delafon à l’avenir (car la marque va subsister) ce sera, au mieux, de la céramique produite au Maroc où il existe déjà une usine Kohler axée sur le bas et la moyenne gamme. Au pire, elle proviendra de Turquie, un des pays où la délocalisation est programmée et où ils passeront par des sous-traitants… Après nous, il ne resterait qu’un seul site d’une autre marque, en Alsace. Ce serait la fin du savoir-faire français séculaire en conception et en fabrication de produits de céramique sanitaire. Donc, quand on voudra installer du sanitaire dans un hôpital, on le fera venir de Turquie, un pays où l’on brûle le drapeau français.

    Propos recueillis par Gilles Lockhart