Le 17 octobre 2025, le conseil d'administration de l'Agirc-Arrco s'est réuni, comme chaque année, pour décider du niveau de revalorisation des retraites complémentaires des salariés du secteur privé. Mais cette fois, aucun accord n'a été trouvé entre les représentants des organisations patronales et syndicales. Conséquence de ce désaccord : le gel total des pensions complémentaires et de la valeur d'achat du point pour l’année 2026.
Une décision qui donne le ton des prochaines semaines, au cours desquelles se tiendront les négociations de branches sur les minimas hiérarchiques et surtout, les discussions autour du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Le blocage s'explique par cette proposition patronale de revalorisation à 0,2 %, face à une inflation à 1 %. Une proposition dénoncée comme « incompréhensible » par Christelle Thieffinne, secrétaire nationale « Protection Sociale » à la CFE-CGC. « C'est la conséquence de l'intransigeance patronale, alors que tous les résultats sont au vert », souligne-t-elle. Elle nous en dit plus sur les causes et conséquences de cette décision.
Pourquoi la CFE-CGC considère-t-elle que la décision de non-revalorisation des pensions Agirc-Arrco constitue une rupture des règles du paritarisme ?
L’Agirc-Arrco est gérée de manière paritaire par les syndicats patronaux et de salariés, et les revalorisations des retraites sont portées par des dispositions prévues dans un Accord national interprofessionnel signé en 2023. Cet ANI décrit les règles de pilotage tactique applicables par le conseil d’administration, qui permettent d’ajuster la valeur de service du point pour respecter la ligne directrice mentionnée dans son préambule : la préservation du pouvoir d'achat des retraités grâce au niveau des réserves. Or, ces dernières s’élèvent actuellement à près de 11 mois, au-dessus de l’objectif de 6 mois. Les projections sur 15 ans s'avèrent excellentes, dépassant même les prévisions initiales. En intégrant une augmentation annuelle indexée sur l’inflation, elles montrent même une progression continue des réserves. De plus, bien que la suspension de la réforme des retraites évoquée par le gouvernement est loin d’être détaillée et votée par le Parlement, il est déjà clairement établi que ses possibles effets financiers pour l’année 2026 seraient très faibles y compris pour le régime Agirc-Arrco.
Il n’y a donc aucun argument de non-respect de l’ANI de 2023, et largement de quoi revaloriser les retraites à hauteur des nécessités économiques.
Ainsi au conseil d’administration, les représentants salariés avaient proposé une hausse de 1 %, à hauteur de l’inflation. Les représentants patronaux, eux, ont avancé une hausse de 0,2 %, clairement insuffisante. Ils sont sortis de leurs prérogatives de gestion, n’ont pas respecté ni l’ANI, ni leur signature, et, de ce fait, ont fragilisé le modèle paritaire.
Pourquoi donc cette absence totale de hausse ?
Chaque administrateur formule des propositions, qui sont éclairées par les résultats et projections financières du régime. Les deux propositions totalement divergentes 1% d’un côté, 0,2 % de l’autre, ont amené à une position du conseil d’administration à 50/50. Aucune décision ne pouvant être tranchée, il n'y a pas de revalorisation décidée. Il faut préciser que les organisations syndicales avaient proposé à la fin d’un premier vote une revalorisation à 0,8 %, afin de parvenir à un compromis plutôt qu’à une non-décision. L’intransigeance patronale a refusé tout compromis et, en restant campée sur sa position initiale, a précipité ainsi vers un résultat fatal.
Quelles sont les options pour sortir de l'impasse ?
La CFE-CGC va rapidement activer tous les outils à sa disposition pour garantir le respect des règles de la gestion paritaire et obtenir la revalorisation attendue de la valeur de service du point en assurant son application, possiblement avec rattrapage, au 1er novembre 2025.
Ce désaccord est-il de mauvais augure pour la conférence sur les retraites et le travail, et que révèle-t-il sur la stratégie patronale ?
Oui, nous avons eu en face de nous une partie patronale au comportement similaire à celui observé durant le conclave : sans aucune vision, déconnectée du contexte économique et social actuel, qui veut toujours plus et donner de moins en moins, et qui refuse toute forme de compromis. Je pense que cette attitude est problématique pour la prochaine conférence sociale ainsi que les concertations et négociations à venir. Elle ne fait que crisper tout le monde.
Pour l’Agirc-Arrco, nous faisons de la gestion paritaire, mais eux font de la politique. Leur attitude n’est pas cohérente avec les excellents résultats de l’Agirc-Arrco. Le fruit des cotisations est fait pour être utilisé, réinvesti, redistribué. Accumuler des réserves pour accumuler n'a aucun sens et nous éloigne du contrat moral, technique et financier conclu avec nos cotisants, les salariés et les employeurs. Cette approche nous détourne également de la mission de service public confiée par l’Etat dans la gestion de ce régime complémentaire. La partie patronale a-t-elle pensé à la retraite de ses patrons de TPE, et PME-PMI, qui seront également largement affectés par la situation ?
Il faut faire le parallèle avec le projet de loi de finances de la Sécurité sociale. Dans une politique d'austérité, le gouvernement propose une sous-indexation des pensions, soit une revalorisation de seulement 0,6 %, Et nous à l'Agirc-Arrco, alors que tout va bien, la partie patronale propose 0,2 %. Ça n’a aucun sens. L’Agirc-Arrco aurait au contraire pu compenser la situation et montrer sa solidarité. Il n’en sera rien cette année. Un rendez-vous manqué !
Propos recueillis par François Tassain