Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a publié le 25 novembre dernier, dans la foulée de son colloque annuel intitulé « Le COR est-il trop optimiste ? », un dossier présentant « le choix des scénarios économiques de long terme », à savoir les hypothèses économiques qui seront utilisées pour établir les projections de long terme du système de retraite, lesquelles seront publiées dans son rapport annuel en juin 2022.
L’analyse de ces hypothèses est importante dans la mesure où les résultats des projections qui en résulteront serviront d’arguments pour réformer notre système de retraite, sachant qu’un certain nombre d’acteurs politiques l’ont d’ores et déjà annoncé…. S’agissant de projections de long terme, il est par ailleurs essentiel de s’assurer de leur cohérence avec d’autres choix majeurs de long terme indispensables notamment pour adresser les enjeux de la transition écologique et ceux d’une autonomie stratégique accrue.
Les quatre facteurs économiques analysés par le COR sont la productivité horaire du travail, le taux de chômage, le partage de la valeur ajoutée et la durée du travail. Mais au final, le paramètre économique essentiel conditionnant l’avenir de notre système de retraite est l’évolution de la masse salariale sur laquelle sont assises l’essentiel de ses cotisations.
Retraite : gare aux hypothèses économiques et aux choix politiques
Dans une tribune, Gérard Mardiné, secrétaire général confédéral, livre les analyses de la CFE-CGC quant aux projections du système de retraite et aux scénarios économiques du Conseil d’orientation des retraites.
PRODUCTIVITÉ, TAUX DE CHÔMAGE, PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE ET DURÉE DU TRAVAIL : LES ANALYSES DE LA CFE-CGC
Les hypothèses pour le futur ne peuvent être une simple extrapolation des constats passés. Il faut y intégrer les effets de la mise en œuvre des priorités citées ci-avant.
Sur la productivité du travail, le COR affiche le choix d’abaisser les scénarios de croissance vers le bas, passant le scénario bas de 1 % à 0,7 % en invoquant que le scénario à 1 % ne peut pas être le scénario bas du fait qu’il correspond environ à la croissance annuelle moyenne de la productivité constatée depuis la sortie de crise de 2008. Ce raisonnement ignore que ce chiffre bas résulte notamment du déficit d’investissement des grandes entreprises dû à leur financiarisation croissante, et du déclin du secteur industriel dans notre économie, l’industrie étant un secteur où les gains de productivité peuvent être significatifs.
Même si les emplois de services à la personne, en particulier pour nos concitoyens âgés qui ont besoin d’un contact humain de qualité, ne se prêtent que peu à des gains de productivité, la masse salariale de cette famille d’emplois est appelée à croître. La nécessité de relocaliser des activités stratégiques et la contribution indispensable de notre industrie pour inventer, développer et fabriquer les nouveaux produits et services nécessaires à la transition écologique vont également générer une activité supplémentaire. Cet effet à la hausse de la masse salariale est cohérent d’un maintien des taux de gains de productivité antérieurs qu’il n’y a donc pas lieu de baisser.
L’hypothèse centrale de taux de chômage à long terme est maintenu à 7 %, la variante optimiste étant à 4,5 %. Le maintien d’un tel chiffre traduit le manque d’une ambition pourtant réaliste pour notre pays. Un investissement public accru dans la recherche publique et l’enseignement supérieur, l’impérieuse nécessité de renforcer notre système de santé et plusieurs services publics, la valorisation des compétences de bon niveau présentes dans notre pays pour relocaliser des activités stratégiques et les investissements dans la transition écologique doivent permettre d’augmenter notre taux d’emploi. Il faut noter ici qu’une augmentation de l’âge de départ en retraite intervenant avant que de telles mesures politiques volontaristes produisent leurs effets sur l’emploi viendrait freiner l’entrée de nombreux jeunes dans le monde du travail, pénalisant notre cohésion sociale et les ressources de notre protection sociale.
L’hypothèse de partage de la valeur ajoutée (VA) pour le futur, consistant à prolonger l’hypothèse actuelle de stabilité « car semblant la plus raisonnable dans l’état actuel de notre ignorance » appelle plusieurs commentaires. D’abord, la CFE-CGC conteste que ce partage de la VA ait été stable dans le passé avec, à l’appui, l’analyse des données produites par la Banque de France. Entre 1997 et 2019, la part de la VA revenant aux actionnaires a ainsi triplé (passant de 5,2 % à 15,8 %) alors que la part revenant aux salariés a baissé (passant de 59,3 % à 54,9 %).
INFLÉCHIR LA FINANCIARISATION CROISSANTE DE l’ÉCONOMIE ET SÉCURISER LE FINANCEMENT DE NOS RETRAITES
Ce phénomène est principalement lié à la financiarisation croissante des grandes entreprises ces vingt dernières années. Leurs directions générales ont très majoritairement préféré sceller un pacte avec les actionnaires institutionnels que sont les grands fonds d’investissement pour favoriser une rémunération élevée des actionnaires (dividendes et rachats d’actions) en contrepartie du vote en assemblée générale de rémunérations très généreuses et souvent indécentes. Notons au passage que cette priorité aux actionnaires, combinée au fait que le capital des grandes entreprises françaises est détenu à quasiment 50 % par des fonds d’investissements anglo-saxons (dont les clients sont majoritairement des fonds de pension), fait que l’économie française finance à une hauteur proche de 25 milliards d’euros par an les retraites de nos collègues anglo-saxons... Ce alors même que de nombreux responsables politiques expliquent que le poids des retraites de nos concitoyens est trop élevé et qu’il faut réduire sa part dans notre PIB !
Il est vital pour notre pays de revenir à un partage de la valeur plus favorable aux salariés. Une augmentation forte des investissements des entreprises en recherche et développement et en production est indispensable pour répondre aux enjeux majeurs de la transition écologique et du regain d’autonomie stratégique de notre pays. Cela créera des emplois, augmentera le taux d’emploi et se traduira par une hausse de la part revenant aux salariés, alimentant en cotisations nos régimes sociaux et consolidant notre système de retraite.
La décision politique de prescrire une nouvelle définition de « l’entreprise et bien commun », et de la doter d’une gouvernance plus responsable davantage orientée sur le long terme, est donc indispensable pour infléchir cette financiarisation croissante, sécuriser le financement de nos retraites et redonner du sens au travail à de très nombreux salariés aujourd’hui désabusés et démotivés. Cela permettra par ailleurs de réduire drastiquement le coût de l’absentéisme estimé à plus de 100 milliards d’euros par an. La conditionnalité des aides publiques aux entreprises doit également intervenir rapidement comme la CFE-CGC le préconise depuis longtemps.
La conservation de l’hypothèse actuelle de stabilité sur la durée du travail n’appelle pas de commentaire compte-tenu de la combinaison de plusieurs effets parmi lesquels la démographie de la population française, la nécessité de réduire les emplois précaires souvent à temps partiel et la création d’emplois nouveaux liés à un investissement accru dans les transitions écologique et numérique visant d’abord à réduire le taux de chômage. La CFE-CGC met dès maintenant en garde les responsables politiques qui prônent de poursuivre le recul de l’âge de départ en retraite (ce qui entraîne une augmentation de la durée de travail sur la vie) dans un contexte de stagnation de l’espérance de vie. Demander ce type d’effort à nos concitoyens pour financer encore plus la retraite des anglo-saxons est indécent et inacceptable.
LA NÉCESSITÉ D’UN CHANGEMENT PROFOND DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE POUR UN MODÈLE D’ENTREPRISE PLUS RESPONSABLE
Des hypothèses économiques de long terme sont bien évidemment nécessaires pour évaluer les perspectives de notre système de retraite. Celles-ci ne doivent pas être principalement guidées par l’extrapolation de données antérieures qui ont été pénalisées par les effets d’un néo-libéralisme exacerbé. Elles doivent d’abord être associées aux effets attendus de choix de politique économique. C’est la condition expresse pour que nos concitoyens soient correctement informés des enjeux et puissent comprendre, évaluer et comparer les programmes politiques qui leur sont soumis. La présentation, parmi plusieurs, d’un « scénario central » comme étant celui offrant les projections les plus réalistes et les plus fiables - et donc devant guider de futures réformes - n’a aucun fondement sérieux.
Les analyses de la CFE-CGC montrent que la solution réside dans un changement profond de politique économique prescrivant un modèle d’entreprise plus responsable. C’est cela qui permettra de réduire le taux de chômage de long terme, d’aboutir à un partage de la valeur ajoutée rééquilibré en faveur des salariés et à la croissance des investissements. Un tel scénario aboutira indubitablement à des projections positives pour notre système de retraites qui sera consolidé et qui doit impérativement continuer à être indépendant du budget de l’État.
NOTRE SYSTÈME ACTUEL DE RETRAITES EST VIABLE À LONG TERME
La CFE-CGC encourage donc tous les responsables politiques à bien considérer notre système de retraites comme une brique majeure de notre système socio-économique et à bien en appréhender toutes les interdépendances, ce qui est loin d’être le cas à ce jour. Notre système actuel est viable à long terme : la CFE-CGC n’acceptera jamais qu’il soit pris en otage comme un « objet politique » sensé symboliser un esprit réformiste ou matérialisant un potentiel d’économies au service du redressement des comptes publics.
La pensée unique néolibérale que beaucoup d’acteurs des cercles de pouvoir - pourtant une infime part de notre population - tentent d’imposer à leur profit exclusif comme la seule voie d’avenir est une impasse collective. La CFE-CGC continuera à diffuser ses propositions argumentées en faveur d’un système socio-économique plus responsable, plus durable et plus humain qu’une grande majorité de nos concitoyens appellent de leurs vœux. Un constat déjà mis en exergue en 2019 par la CFE-CGC à l’occasion de la crise des gilets jaunes.
Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC