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Publié le 09 - 10 - 2025

    « Pérenniser notre Sécurité sociale et répondre aux défis »

    Bien commun à préserver, la Sécu célèbre son 80e anniversaire. État des lieux des enjeux avec Christelle Thieffinne, secrétaire nationale CFE-CGC à la protection sociale, et Philippe Baux, délégué national CFE-CGC.

    Créée en 1945 à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la Sécurité sociale célèbre en ce mois d’octobre ses 80 ans. En quoi demeure-telle un pilier de notre modèle social ? 

    Christelle Thieffinne : Lors de sa création en 1945, la vocation de la Sécurité sociale était d’assurer ceux qui travaillent contre les accidents et les aléas de la vie. Manifestement, au travers des 80 dernières années, la Sécu a rempli de façon satisfaisante ses missions : les Français sont globalement bien couverts contre les maladies, les retraités perçoivent toujours leur pension, même en cas de crise pandémique mondiale. Le système a fait bien mieux que tenir ! Nous devons le pérenniser et répondre aux défis.

    Quel état des lieux global peut-on faire de ses six branches (famille, maladie, accidents du travail/maladies professionnelles, retraite, autonomie, recouvrement) composant la Sécu ?

    Christelle Thieffinne : Si le système reste plébiscité par une immense partie de la population, les finances de la Sécurité sociale ne vont pas pour le mieux, chacun en convient. Le mode de financement basé sur le travail et la production n’a pas su suivre les différentes évolutions économiques ou démographiques. Par ailleurs, les différentes tentatives des gouvernements successifs ne visent que des actions ponctuelles et curatives. Si l’on prend l’exemple de la dépendance, les besoins vont exploser. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) se doit donc d’adopter une stratégie à moyen et long terme. La CFE-CGC souhaite d’ailleurs l’instauration d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pluriannuel pour améliorer la stratégie nationale.

    Le déficit de la Sécu n’est qu’une partie du déficit public et résulte de choix politiques »

    Réduire « le trou de la Sécu » est devenu un marronnier du débat public alors que les dépenses de santé s’accroissent, notamment sous l’effet du vieillissement de la population. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

    Christelle Thieffinne : L’expression « trou de la Sécu » est une invention très politicienne ! L’État, au travers des PLFSS, fixe les cotisations (et les exonérations), les taux de remboursement des soins, etc. Depuis combien d’années les gouvernements n’ont-ils pas présenté un budget prévisionnel ne serait-ce qu’à l’équilibre ? Le déficit de la Sécurité sociale n’est en fait qu’une partie du déficit public. Il résulte de choix politiques.

    Lors de la crise Covid, et sans revenir sur le fond du « quoi qu’il en coûte » alors décidé par le président de la République, était-ce à la Sécurité sociale de tout prendre en charge alors que ses comptes tendaient à s’équilibrer ?

    Quelles sont les grandes revendications de la CFE-CGC pour pérenniser la Sécu et garantir l’accès aux soins et l’accompagnement aux différents moments de la vie ?

    Philippe Baux : Prenons un exemple simple. L’État gère le budget de la retraite de base et la branche vieillesse dont le déficit devrait se dégrader de nouveau en 2025 pour atteindre 6,2 milliards d’euros. Les partenaires sociaux gèrent quant à eux la retraite complémentaire (Agirc-Arrco) dont les résultats 2024 ont affiché un excédent de 1,6 milliard d’euros. L’État souhaite donc régulièrement faire main basse sur un trésor de guerre ne lui appartenant pas…

    La CFE-CGC propose donc en premier lieu le retour à une gestion pilotée par les partenaires sociaux. Il faut par ailleurs revoir les exonérations des cotisations patronales sans contrepartie et se préoccuper de l’emploi des jeunes et des seniors, des pistes nécessaires pour augmenter les ressources du système. Nous n’excluons pas non plus de revoir les dépenses, par exemple le remboursement de certains traitements et médicaments dont l’évaluation, par des experts indépendants, est jugée faible ou modérée. Se pose aussi la question des facturations déraisonnables de certains professionnels de santé. Plus largement, une réflexion systémique sur le ratio charges/dépenses doit intervenir, sans tabou. Enfin, il convient bien entendu de continuer à développer la prévention, notamment dans le cadre du travail.

    Continuer à développer la prévention, notamment dans le cadre du travail »

    Où en est la mise en œuvre de la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2023-2027 signée entre l’État et la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) ?

    Philippe Baux : Nous avions réussi à mettre une clause de revoyure lors de la signature de la COG concernant les postes « à rendre », l’Assurance maladie ayant absorbé plusieurs millions d’assurés sociaux, par exemple le RSI (régime social des indépendants), tout en « rendant » 17 % d’agents. Les coûts de gestion étant compris entre 1 et 4 % suivant les branches, sans moyens humains, le système ne peut fonctionner. Le meilleur exemple est le nouveau système de paiement des indemnités journalières (logiciel Arpège) qui sera déployé mais qui n’est absolument pas au point. Les gains escomptés de productivité ne sont pas au rendez-vous. Il conviendra d’en rediscuter avec la CNAM afin de garantir la qualité de service délivrée aux assurés sociaux. En parallèle, la Caisse tente depuis un an une fusion entre les services administratifs et médicaux. La CFE-CGC y sera très attentive, tant pour le service aux usagers que pour les personnels des deux entités.

    Prévue dans le cadre de la loi sur le bien vieillir de 2024, une conférence nationale de l'autonomie s'est ouverte entre les pouvoirs publics et divers acteurs dont les organisations syndicales et patronales. Quels sont les enjeux ?

    Philippe Baux : Avec l’allongement de la durée de vie, la première des préoccupations doit devenir le « bien vieillir ». Entre les polymédications et la perte d’autonomie, l’accompagnement de nos seniors devient une problématique qui, sans anticipation, risque d’être la prochaine bombe sociétale. Or la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ne dispose pas des moyens permettant d’agit pleinement. Il conviendrait donc de trouver une solution de financement pérenne et stable.

    Une autre problématique majeure sur laquelle nous devons collectivement travailler est comment aider les 11 millions d’aidants qui accompagnent un proche malade, en situation de handicap, ou en perte d'autonomie.

    Sans anticipation, l’accompagnement de nos seniors risque d’être la prochaine bombe sociétale »

    Quelles sont les missions des administrateurs CFE-CGC qui siègent dans les conseils des organismes de Sécurité sociale ? 

    Philippe Baux : Le rôle des administrateurs et des conseillers CFE-CGC est de régler, par leurs délibérations, les affaires de leur caisse respective (CNAF, CNAM, CNAV…). Ils sont amenés à voter certains budgets et peuvent se retrouver à siéger dans diverses commissions (actions sociales, recours amiables…) de chacune des caisses. Nos mandatés sont ainsi chargés d’orienter et de contrôler l’activité de la caisse en se prononçant sur divers rapports qui leur sont soumis par la direction de l’organisme.

    Comment sont-ils désignés et accompagnés dans l’exercice de leur mandat ?

    Christelle Thieffinne : Les conseillers CFE-CGC sont nommés par nos unions territoriales pour une durée de quatre ans. La prochaine échéance est d’ailleurs fixée à janvier 2026 et j’invite nos militants à se rapprocher de nos unions ! De son côté, le pôle protection sociale de la confédération que je pilote propose une intervention au niveau régional pour accompagner les administrateurs. Par ailleurs, nous travaillons actuellement sur différents modules interactifs de formation pour accompagner nos militants.

    L’année 2025 aura été marquée par les 4 mois du conclave retraites. En retenez-vous des points positifs ?

    Christelle Thieffinne : Malgré l’échec de la négociation, notre présence à la table a marqué les esprits. Être là, c’était affirmer notre légitimité à porter une parole forte, à proposer des solutions concrètes. La CFE-CGC avait déjà gagné le débat des idées en 2023. Elle a confirmé son rôle d’acteur incontournable, en phase avec la réalité du travail. Cette crédibilité, même le pouvoir politique nous l’a reconnue.

    Plus largement, les travaux du conclave ont permis de faire émerger des priorités désormais incontestables et de donner un cap sur l’emploi des jeunes et des seniors. Sur les femmes, en particulier les mères de famille pénalisées par la réforme de 2023, pour lesquelles nous avons porté des mesures de revalorisation des pensions, claires et applicables. Sur l’usure professionnelle et la pénibilité, qui rendent illusoire toute prolongation de carrière sans repenser les parcours professionnels et les protections. La CFE-CGC a fait entendre sa voix : les vrais sujets sont sur la table, objectivés et chiffrés !

    Propos recueillis par Mathieu Bahuet

    A lire aussi : le dossier 80 ans de la Sécurité sociale dans le magazine CFE-CGC de septembre 2025