Une rencontre avec Jean-Michel Pécorini fait voyager. Dans le sud de la France d’abord, à Marseille pour être précis, où ce « Marseillais plus marseillais que français » (dixit) a fait sa carrière professionnelle et syndicale. Pour ceux qui savent que l’OM est à jamais le premier, il a aussi été abonné du Stade Vélodrome pendant 30 ans. Et on entend tout cela dans sa voix profonde et ensoleillée.
Aux États-Unis ensuite, à Sturgis dans le Dakota du Sud, à 40 km de Rapid City pour être précis, où ce fondu de Harley Davidson vient de passer 10 jours cet été avec Madame dans une concentration où 800 000 Harley ont pétaradé. « J’adore la moto, j’en ai toujours eu, mais des petites. Pour mes 40 ans, mes collègues chez Casino m’ont payé le permis. Ma femme m’a dit : "Ce n’est pas parce que tu as le permis que tu auras une moto tout de suite !" Et donc j’ai commencé par une Japonaise. Puis, après un accident, je suis allé à la concession de Marseille et je me suis offert une Harley. »
Celle d’aujourd’hui est une Electra Black Pearl de 1900cc toute noire (« sans chrome parce que j’ai assez donné pour les nettoyer vu qu’une Harley doit toujours être nickel »), qu’il chevauche avec son statut d’Head Safety Officer (formateur en sécurité routière) au sein du Harley Owners Group, le fameux « HOG », « le plus grand club au monde avec ses 1,2 million de membres ! ». Gilet jaune et sifflet à la bouche quand il officie pour que les fêtards roulent en quinconce et respectent le serre-file.
FACONDE, COMPÉTENCE ET ASCENSION SYNDICALE
Mais le vrai voyage de Jean-Michel Pécorini, c’est celui qui traverse le syndicalisme, de la petite cellule militante d’un magasin jusqu’aux cimes de la confédération CFE-CGC. Un parcours d’autodidacte atypique comme il en est peu. À 62 ans, celui qui se considère « comme un homme public par rapport aux différentes élections CFE-CGC », n’éprouve nulle gêne à dire qu’il n’a pas le Bac et que sa formation d’aide vétérinaire passée pendant son service lui tient lieu de première ligne de CV. S’il a voulu s’engager, c’est un vieux souvenir. L’armée n’a pas voulu de lui comme militaire. Il avise une petite annonce de la Sodim, société de grande distribution régionale, rachetée ensuite par le Groupe Casino. Se présente à 6h au lieu de 8h pour être le premier. « Le DRH avait fait la même armée que moi, ça a matché tout de suite et il m’a pris comme dispatcheur. » C’était en 1981. Il est dans l’entreprise depuis 42 ans.
Le militantisme a commencé par une déception. Après avoir gravi des échelons -responsable fruits et légumes, chef de produits de grande consommation, formateur de rayons -, un supérieur lui propose de devenir responsable de magasin. Mais à Foix dans l’Ariège. Marseille-Foix : 400 km. Sans la mer et sans l’OM. Et avec une épouse inspectrice du Trésor public dans la cité phocéenne. « Le temps qu’elle se fasse muter à Foix, j’aurais été muté ailleurs. » Il refuse. On lui rétorque que dès lors, il n’intéresse plus la direction. Rideau sur une future carrière de cadre.
« Il se trouve que six mois après, il y avait des élections dans mon magasin. Je me suis présenté et j’ai été élu au CE puis au CCE de la Sodim. » Pourquoi la CFE-CGC ? « Parce que je n’aime pas avoir le cul entre deux chaises. Quand la direction donne beaucoup aux salariés et pas beaucoup aux cadres et aux agents de maîtrise, cela ne me va pas. Ce syndicat me permettait de prêcher pour l’encadrement. »
L’ascension va aller vite, le conduisant à devenir l’un des seuls secrétaires nationaux CFE-CGC ayant le statut d’agent de maîtrise, comme Carole Couvert en son temps ou Gilles Lécuelle par la suite. Une ascension qu’il explique par une boutade à peine moins grosse que la sardine du Vieux-Port : « Un philosophe allemand dont je ne me souviens plus du nom a dit en gros : on te met en haut pour ne pas embêter celui d’en bas. » Une place se libère pour être président de la région Agro PACA : « On m’a mis là. » Il monte au sein de la fédération CFE-CGC de l’Agroalimentaire : « Elle me présente au poste de délégué national au congrès de Reims de 2010. Et donc je suis arrivé comme ça à la confédération. Personne ne me connaissait. À Reims, nous étions 18 pour 16 places. Deux militantes ont retiré leur candidature et je me suis retrouvé le 16e élu sur 16. »
Le congrès aurait sélectionné un parfait quidam ? « J’étais présenté par l’Agro quand même ! se valorise pour le coup "Péco". J’étais au CCE de Casino, président de la région PACA-Corse pour l’Agroalimentaire, mandataire à l’AG2R PACA. J’avais conduit les négociations avec le Medef et la CGPME sur Plan-de-Campagne, la zone commerciale proche de Marseille où il régnait beaucoup de non-droit sur les ouvertures le dimanche. J’étais passé deux fois au journal de Claire Chazal sur TF1 ! »
PLUSIEURS GRANDES ÉCHÉANCES EN 2024
Sa faconde, sa compétence et son parcours en font une personnalité appréciée et identifiée au sein de la CFE-CGC. Président des assemblées confédérales depuis 2019, réélu en 2023 au congrès de Tours, il a été secrétaire national de 2013 à 2016, après son premier mandat de DN, en charge du développement syndical, du dialogue social et des unions territoriales. Depuis le congrès de Lyon de 2016, il reste expert confédéral au dialogue social. Toujours prêt à dompter de grosses cylindrées : « Il va y avoir les élections TPE en novembre et décembre 2024. En janvier-février 2025, celles des chambres d’agriculture. En mai 2025, celles de la Mutualité sociale agricole (MSA). L’année 2024 est importante », souligne Jean-Michel Pécorini, rouage incontournable dans la préparation de ces enjeux de représentativité.
En disponibilité depuis 2010 de son poste de manageur de caisse, le syndicaliste-motard peut regarder dans son rétroviseur : « Quand tu arrives à sauver une situation, c’est une satisfaction. J’ai traité des cas de harcèlement qui m’empêchaient de dormir et qui me poussaient à me confier à un autre élu pour alléger la pression. Au début, pour moi, la confédération, c’était juste une étagère virtuelle. Je ne pensais rien faire et je suis arrivé à un haut niveau pour un autodidacte. »