ARRÊT PUIS REPRISE PROGRESSIVE DES SITES INDUSTRIELS
« Le premier aspect du confinement chez Michelin a concerné les sites industriels qui se sont tous arrêtés le 16 mars (soit environ 10 000 salariés), hormis quelques ateliers pour fournir l’armée en pneus d’avions, de camions et de génie civil. Ces sites ont repris progressivement mi-avril dans des proportions qui ne dépassent pas 10 à 15 % de l’effectif normal. On peut citer ceux de Troyes pour les pneus d’engins agricoles, de Joué-lès-Tours pour les renforts textiles des gommes, de Vannes pour les renforts métalliques, de Montceau-les-Mines pour le génie civil ou encore de Gravanches (Clermont-Ferrand) pour les pneus haut de gamme. »
HÉSITATIONS SUR LES SITES TERTIAIRES
« Le deuxième aspect concerne les sites tertiaires dont, globalement, tous les salariés ont été placés en télétravail. Ceux-là ont commencé à redémarrer la semaine du 11 mai avec de l’ordre de 5 % du personnel pour tester les protocoles sanitaires. En fonction des possibilités et des besoins, ils devraient être réinvestis par un petit quart des effectifs d’ici début juin, sachant que le télétravail reste la règle. Pour cette partie tertiaire, il faut noter qu’on a plutôt du mal à trouver des volontaires pour revenir : essentiellement pour des raisons de praticité (garde d’enfant) mais aussi parce que beaucoup de salariés ne voient pas l’intérêt d’être sur place. S’il n’y a que 3 présents sur un effectif de 40, pourquoi se casser la tête à sécuriser des salles de réunion alors que, de toute façon, ils devront faire des visioconférences avec les collègues indispensables restés chez eux ? »
DÉFI LOGISTIQUE ET PAUSES CAFÉ VIDÉES DE LEUR SUBSTANCE
« L’enjeu sur la partie tertiaire va être d’organiser des rotations pour refaire cohabiter du monde. Un logiciel gèrera les créneaux horaires afin d’étaler les arrivées. Sur le site des Carmes (Clermont-Ferrand), nous sommes 3 700 salariés. Si 70 % arrivent en une demi-heure, c’est ingérable sur le plan sanitaire. À cela risque de s’ajouter une autre forme de pression et de stress que nous enseigne notre expérience de quelques semaines sur la partie industrielle : les pauses café n’ont plus grand-chose de convivial. Les gens sont espacés de deux mètres, ils ont des masques, la machine à café est arrêtée, etc. : on constate que cela amène de la charge mentale concernant des travaux où il n’y en avait pas forcément beaucoup. »
Michelin : la complexité de la crise à l’échelle d’un grand industriel
Par Jean-Christophe Laourde, délégué syndical central CFE-CGC
Confrontés à une crise sanitaire et économique hors norme, les fédérations et les militants CFE-CGC s’activent au quotidien dans les branches professionnelles et les entreprises pour faire vivre un dialogue social plus indispensable que jamais. Témoignages.
ACTIVITÉ : GARE AU DEUXIÈME TRIMESTRE
« Michelin a perdu 8 % de chiffre d’affaires au niveau mondial sur les trois premiers mois de l’année. Cela peut sembler limité, mais il faut voir que notre activité est répartie à parts égales sur trois zones : les États-Unis, l’Europe et l’Asie. Nous avons subi l’Asie en premier, mais elle a redémarré. Tous nos collègues asiatiques sont dans les bureaux. Avec les masques et le gel hydro-alcoolique, mais ils sont là. La vague qui frappe l’Europe et les États-Unis n’en est probablement qu’au début : les conséquences vont donc s’étaler. C’est le chiffre d’avril qui risque d’être significatif, tout comme le bilan du deuxième trimestre… ».
« Cette crise est parfois présentée comme une occasion de revivifier le dialogue social : je crains que nous soyons un peu le mauvais exemple
DÉLIT D’ENTRAVE SUR LA NÉGOCIATION ANNUELLE OBLIGATOIRE (NAO)
« Cette crise est parfois présentée comme une occasion de revivifier le dialogue social : je crains que nous soyons un peu le mauvais exemple… Tout avait bien commencé pourtant, puisque nous avons signé un accord augmentant notamment de 10 % le taux d’indemnisation du chômage partiel en échange de dix jours posés. Puis l’entreprise a décidé d’ouvrir une négociation sur un avenant à l’accord NAO 2020 signé en février. En gros, Michelin veut geler l’augmentation des cadres et de la moitié des techniciens et des agents de maîtrise, tout en leur proposant une clause de retour à bonne fortune si la rentabilité est de retour en 2022. Je passe les détails mais, quand on sait que notre résultat 2019 est historique et que nous sommes plongés dans la pire crise économique depuis 1929, comment s’attendre à ce qu’on retrouve les sommets en 2022 ? Après la crise de 2008, nous avions déjà mis trois ans pour retrouver le résultat opérationnel. Ce n’est pas une clause de retour à bonne fortune, c’est un ticket de loto !
Toutes nos propositions ont été refusées. Qui plus est, la direction contourne la NAO en demandant aux salariés de se positionner individuellement sur l’air de : "Si vous prenez l’augmentation cette année, vous ne l’aurez pas l’année prochaine." Ce qui constitue un délit d’entrave. L’inspection du travail nous a donné raison. Mais l’entreprise ne cède pas. Prochaine étape : une audience en référé le 26 mai. »
LE PETIT AUTOCOLLANT ORANGE
« Cela dit, nous sommes capables de faire la part des choses et de cloisonner. Nous négocions sur l’intéressement et sur la qualité de vie au travail (QVT). J’ajoute que le déconfinement se passe globalement plutôt bien sur les sites industriels. Nous avons travaillé avec les commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) en local, la direction, les services environnement-prévention, la médecine du travail… Les normes sont respectées et nous partageons des petites astuces entre sites. Un exemple : nous avons des douches dont la désinfection est bien sûr très importante. Pour optimiser le lavage et le temps de rotation, il y a des petits stickers autocollants orange qu’une personne ayant pris sa douche colle sur la porte. Cela permet à l’équipe de nettoyage de désinfecter les bonnes douches. »
Propos recueillis par Gilles Lockhart