Le projet de pass sanitaire dans les entreprises semble devoir être abandonné par l’exécutif. Qu’en pensez-vous ?
La CFE-CGC a fait valoir son opposition à ce projet qui ne créerait que davantage de problèmes et laisserait planer de nombreuses interrogations, en particulier le devenir du contrat de travail et son exécution en l’absence de contrôle conforme. Pour la CFE-CGC, l’entreprise n’a pas vocation à devenir un auxiliaire de l’État dans le contrôle coercitif du déploiement du pass sanitaire.
Dans le champ de l’entreprise, les organisations syndicales sont très mobilisées depuis le début de la crise sanitaire. Dans des conditions difficiles, c’est l’investissement et la responsabilité des représentants du personnel qui, avec les directions, ont permis d’instaurer un climat de confiance pour adapter les moyens à mobiliser pour maintenir l’activité et sécuriser les conditions de travail en entreprise. Il faut continuer de s’appuyer sur le dialogue social et les acteurs de terrain dans leur capacité à créer un espace de confiance quand on leur en donne les moyens. Dès lors, tout moyen supplémentaire qui serait imposé, sans concertation, risquerait de disloquer cette confiance. Je rappelle par ailleurs que la CFE-CGC a constamment sollicité tous les moyens disponibles en faveur de la vaccination : libération des salariés sur leur temps de travail, vaccination par les services de santé au travail, etc.
« La CFE-CGC est très mobilisée depuis le début de la crise »
Crise sanitaire et rôle des élus du personnel dans les entreprises, télétravail obligatoire, négociations salariales, paritarisme… Président de la CFE-CGC, François Hommeril fait le point sur les dossiers chauds de l’actualité sociale.
Le projet de loi examiné au Parlement prévoit la transformation du pass sanitaire en pass vaccinal pour les salariés en contact avec le public ou des personnes fragiles. Quelle est la position de la CFE-CFC ?
Le pass vaccinal pose un problème à partir du moment où la vaccination n’est pas obligatoire. Le sujet est clivant, car on peut considérer qu’un individu qui exerce sa liberté de choix n’a pas à en supporter les conséquences et être potentiellement privé du droit de travailler. À l’hôpital, les choses sont plus claires car pour travailler, la vaccination des personnels soignants est obligatoire.
Sur le télétravail, un sujet central, il faut faire confiance aux acteurs de terrain. »
Face à la propagation du virus, le télétravail a été rendu obligatoire trois jours par semaine, au moins jusqu’au 24 janvier. Est-ce une bonne mesure ?
Oui, c’est une mesure équilibrée. Au-delà de cette disposition conjoncturelle, chacun a pu mesurer les bienfaits et les dangers induits par le télétravail, un dispositif qu’il faut continuer d’encadrer dans les entreprises. Là encore, il faut faire confiance aux acteurs de terrain tant le sujet du télétravail, indépendamment du contexte lié à la pandémie, va devenir central ces prochaines années. Il faudra, entre partenaires sociaux, avancer avec vigilance, intelligence et créativité, en mesurant tous les impacts du dispositif sur l’organisation du travail. Le recours au télétravail s’inscrit en effet dans un projet d’entreprise qui intègre les spécificités des activités et des profils des collaborateurs, un projet dans lequel les salariés se voient, vivent et travaillent ensemble dans des plages horaires définies. C’est aussi au contact de ses collègues, et par des interactions informelles, que se construisent les parcours professionnels et les expertises.
Comment veiller à la bonne application de ce télétravail obligatoire ?
La question du contrôle et des sanctions est assez cocasse puisque l’Inspection du travail a été sabordée depuis quinze ans par les gouvernements successifs, avec notamment une réduction des effectifs. Suite à sa mesure, la ministre du Travail souhaite tout d’un coup renforcer les moyens ! Moi je dis banco, à condition que cela soit pérenne et que les inspecteurs puissent travailler efficacement, que ce soit dans leurs missions de contrôles mais aussi de conseils aux entreprises.
Les grilles salariales ont été dévaluées depuis vingt ans, de l’ordre de 15 à 30 % selon les secteurs. »
Bon nombre de négociations salariales sont en cours dans les entreprises, un sujet sur lequel les salariés expriment de fortes revendications. Qu’en est-il ?
Les directions des entreprises, dont la plus grande, celle de la fonction publique, sont rattrapées par leur inconséquence. Les grilles salariales ont été dévaluées depuis vingt ans, de l’ordre de 15 à 30 % selon les secteurs. La non-réévaluation des grilles au prorata de l’inflation a conduit les directions à appliquer un effet talon pour que les bas salaires ne soient pas « mangés » par le Smic. Avec pour conséquence l’extension des classes moyennes précarisées, qui vont jusqu’au professeur des écoles. La poussée de l’inflation est en train de réveiller tout le monde en entreprise quand beaucoup d’entre elles ont perdu la clé du champ de tir, préférant depuis des années comprimer les salaires et la chaîne de valeur pour gonfler les bénéfices. Face aux attentes légitimes des salariés, les employeurs doivent procéder à des revalorisations conséquentes par le biais d’augmentations générales, et pas que cette année. Il convient aussi de rappeler que les salariés de l’encadrement connaissent, ces dernières années, une évolution salariale plus faible que la moyenne.
Que vous inspire le nouveau gel du point d’indice dans la fonction publique ?
Là encore, l’État a été inconséquent dans sa gestion des carrières et des salaires. Beaucoup de personnels (professeurs, infirmiers, etc.) se retrouvent précarisés et à la traîne quand on les compare à d’autres pays européens et de l’OCDE. Les métiers sont dévalués, les conditions de travail dégradées. On parle beaucoup, à juste titre, de l’hôpital, mais cela concerne énormément d’autres agents.
Le paritarisme doit continuer de pouvoir s’exercer entre partenaires sociaux sans les ingérences de l’État. »
Les partenaires sociaux ont débuté une négociation nationale interprofessionnelle sur le paritarisme de gestion, à l’œuvre dans des instances comme l’Apec, l’Agirc-Arrco ou Action Logement. Quel en est l’enjeu ?
Il s’agit, par cette négociation, de faire évoluer le précédent accord sur le sujet qui date de 2012. Il est important de rappeler que le paritarisme est le lieu dans lequel les huit organisations syndicales et patronales représentatives gèrent et décident ensemble et seuls de la mise en place et du financement de dispositifs sociaux (droits, garanties…) applicables au monde du travail. Il convient donc de réaffirmer l’autonomie des partenaires sociaux : le paritarisme doit continuer de pouvoir s’exercer sans les ingérences de l’État.
La France a pris, depuis le 1er janvier, la présidence de l’Union européenne. Que peut-on en attendre ?
C’est toujours une bonne chose sur le papier. Toutefois, le calendrier national fait qu’un quinquennat s’achève et force est de constater qu’il n’a pas du tout été favorable au développement de la norme sociale. Dès lors, on a un peu de mal à y voir clair sur les objectifs du gouvernement pour cette mandature française de l’UE.
Comment se positionne la CFE-CGC par rapport à l’élection présidentielle et quels thèmes prioritaires voudriez-vous voir émerger dans le débat public ?
Notre position est constante vis-à-vis de cette échéance : la CFE-CGC jouera son rôle et tiendra à disposition des candidats officiellement déclarés un document avec nos propositions revendicatives. En parallèle, nous les interpellerons sur un certain nombre de grands sujets - partage de la valeur, transition écologique, protection sociale, retraites, etc. - afin de publier leurs réponses.
Que peut-on souhaiter à la CFE-CGC à l’attaque de cette nouvelle année ?
Je souhaite à l’organisation qu’elle continue de se développer comme elle le fait depuis dix ans. Meilleurs vœux à l’ensemble de nos structures, de nos militants et de nos collègues qui réalisent un travail remarquable sur le terrain malgré des conditions très dégradées depuis le début de la crise sanitaire.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet