Avec Jean-François Foucard, secrétaire national aux parcours professionnels, vous représentiez la CFE-CGC lors de la rencontre avec la Première ministre. Quel sentiment en retirez-vous ?
A l’issue de la réunion, j’ai parlé dans les médias d’une réunion « fort utile » allant « dans le sens de renouer les fils du dialogue social ». Pourquoi ? Parce que, d’abord, c’était une multilatérale, pas une bilatérale, et que tout le monde a donc entendu les mêmes choses. Ensuite, parce que c’est important de valoriser ce qui constitue à mes yeux un effort réel de Mme Borne et de son équipe, laquelle a travaillé en amont avec nous. Ils ont la volonté d’avancer parce qu’ils ont pris la mesure du désordre qu’a créé la violence institutionnelle mise en œuvre au moment de la réforme des retraites. Quand Elisabeth Borne dit : « je veux renouer les fils du dialogue social », elle est sincère et il est important de le dire et de valoriser cet effort. Même si, évidemment, il faut se contenter de pas beaucoup…
Quels points avez-vous défendus lors de vos interventions ?
J’avais prévu de ne pas intervenir sur l’agenda autonome, de manière à ne pas être décalé par rapport à la Première ministre, puisque celle-ci va laisser les partenaires sociaux négocier sur les six points de cet agenda. Mais s’agissant des trois sujets de négociation qui étaient à l’ordre du jour, l’emploi des seniors, le compte épargne temps universel (CETU) et le bloc parcours professionnels, pénibilité et reconversions professionnelles, on peut parler d’une victoire de la CFE-CGC dans la mesure où nous avons beaucoup pesé pour obtenir que ces trois négociations se déroulent dans un cadre obligeant le gouvernement à s’impliquer et à fixer des indicateurs. Cela, le patronat n’en voulait pas et c’est nous qui avons réussi à l’imposer.
Quelle est la feuille de route de la CFE-CGC sur ces différents sujets ?
Si je mets de côté le CETU qui n’est pas le sujet le plus chargé politiquement, sur l’emploi des seniors, nous voulions que le gouvernement s'engage et pose des objectifs, de façon que le patronat soit sous pression et obligé de négocier avec nous. L’emploi des seniors est un vrai sujet que nous avions souhaité négocier avant la réforme des retraites. La France est un pays particulièrement mal classé sur la question du respect qu’on doit aux gens en fin de carrière dans les entreprises. Dans beaucoup d’entreprises, à partir de 55 ans on est vieux, et à partir de 58 ans on est en trop ! C’est un sujet sur lequel la CFE-CGC porte 25 propositions concrètes, qui reflètent bien les demandes et les besoins de nos sections syndicales et que nous allons porter dans la négociation.
Concernant la pénibilité ?
Je rappelle que nous sommes en désaccord total avec le terme gouvernemental de prévention de l’ « usure » qui ne décrit pas la réalité de ce qu’est la pénibilité au travail. L’usure sous-entend une accumulation, or les risques psycho-sociaux ne sont pas cumulatifs, ils peuvent arriver à n’importe quel âge et ils dépendent de l’organisation et du management de l’entreprise. Ce sont des risques sans seuil : une faible exposition peut avoir des conséquences graves. Le terme usure ne décrit absolument pas ce que sont les conditions de pénibilité et les risques que l’on prend suivant son environnement de travail. Nous voulons – et nous y arriverons – imposer la question des RPS dans le cadre de la négociation.
J’ai par ailleurs fait remarquer qu’il fallait laisser du temps à ces négociations. Une bonne négociation doit documenter tous les sujets de façon complète et partagée. Elle suppose de d’abord échanger sur les enjeux, sur les données nécessaires à se comprendre, et tout cela prend du temps. Il faut respecter ce paramètre.
Votre homologue de la CGT, Sophie Binet a salué à l'issue de la réunion un « frémissement d'autonomie » de la part de Mme Borne face au patronat. Partagez-vous cet avis ?
Je n’avais pas entendu ce propos mais je trouve bien qu’elle l’ait relevé et j’aime bien l’expression. Pour avoir une chance de déboucher sur des accords ambitieux, il faut que le cadre soit contraignant pour les employeurs. Or, et je l’ai dit à la réunion de Matignon, depuis des années, le gouvernement est pro-patronal, revendiqué ! C’est une erreur parce qu’on ne peut pas comme cela favoriser le point de vue unique des employeurs pour prétendre assurer le développement de l’entreprise. C’est exactement le contraire qui se produit. Il faut que le gouvernement ait un rôle neutre et crée les conditions d’un rapport de force équilibré entre les employeurs et les salariés. Par son action et par le cadre qu’il pose, le gouvernement semble commencer effectivement à rééquilibrer le rapport de forces.
Sur France Info, vous avez parlé des traces « indélébiles » laissées par la réforme des retraites. Alors qu’une nouvelle intersyndicale est prévue fin août, faut-il comprendre que ce dossier ne se referme pas ?
La blessure des retraites ne se referme pas. Le sujet reste vif. Il va commencer à produire ses conséquences dès l’automne. Nous allons avoir la mesure du mensonge qui a été produit par le gouvernement lorsqu’il prétendait pouvoir appliquer la réforme des retraites en 2023 sans dommages, alors qu’on voit bien que dans les caisses rien n’est prêt pour le faire.
Propos recueillis par Gilles Lockhart