"La fin des violences" faites aux femmes au travail : lettre ouverte
Dans cette lettre ouverte, Mireille Dispot, Secrétaire nationale CFE-CGC et une trentaine de responsables d'organisations syndicales, associations et ONG demandent au Président de la république d'agir contre les violences sexistes au travail.
"Monsieur le Président, si la France fait face à la crise sanitaire, c'est notamment grâce à l'engagement des femmes : en première ligne pour assurer les activités essentielles, en télétravail tout en permettant la continuité pédagogique de leurs enfants, et auprès de nos aînés dont elles assurent majoritairement la prise en charge… Le confinement a aussi entraîné une augmentation des violences domestiques, une hausse de plus de 30 % de signalements ayant ainsi été constatée. Pourtant, à l'heure du déconfinement, les femmes pourraient être - à nouveau - oubliées, sommées de remiser leurs revendications pour ne pas accroître les difficultés économiques des entreprises. Un jour d'après comme avant, en pire?
Ce 21 juin, il y a un an, l'Organisation Internationale du Travail, adoptait la première norme internationale concernant l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Arrachées par la mobilisation des femmes et le mouvement syndical, la convention et la recommandation sont ambitieuses et novatrices et constituent le premier texte international contraignant visant à lutter contre le harcèlement et les violences au travail. Elles exigent des États et des employeurs la mise en place de politiques systématiques de prévention et de protection des victimes, que les violences aient lieu au travail ou dans le cadre domestique. Ces progrès majeurs ne pourront voir le jour que si cette convention est ratifiée par les États.
Tandis que plusieurs États s'apprêtent à le faire à l'image de l'Uruguay, le silence semble de mise dans l'Hexagone. Malgré nos multiples interpellations, et en dépit de l'annonce de la Ministre du Travail d'engager "sans tarder la concertation avec l'ensemble des acteurs", le gouvernement ne nous a pas tenues informées de l'avancement de ce processus qui semble pourtant déjà engagé : à ce jour, ni ouverture de négociations tripartites avec les acteurs sociaux, ni publication du calendrier parlementaire nécessaires pour cette ratification au niveau national. Pire, le gouvernement laisse entendre que si une ratification a lieu, elle pourrait se faire sans modification du droit national, donc sans avancée sociale.
Monsieur le Président, cette ratification doit être l'occasion de changer la donne en France et de nous doter d'une législation de référence pour éradiquer les violences sexistes et sexuelles au travail et créer des droits pour les victimes de violences conjugales à l'image du Canada, de l'Espagne, des Philippines, ou encore de la Nouvelle-Zélande. Elle doit être le signe que "le jour d'après ne sera pas un retour au jour d'avant"! Nous souhaitons que la ratification de la convention soit l'occasion d'améliorer le droit français sur plusieurs points clés. Alors qu'en France, 30% des salariées ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail, la quasi-totalité des employeurs n'a toujours aucun plan de prévention pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il est urgent d'en faire un sujet obligatoire de négociation à tous les niveaux sous peine de sanction pour les employeurs. L'ensemble des professionnels, des représentants du personnel et des salariés doivent être formés et sensibilisés pour lutter contre ces violences.
En France, 70% des victimes de violences au travail déclarent n'en avoir jamais parlé à leur employeur. Et pour cause, quand elles le font, 40 % estiment que la situation s'est réglée en leur défaveur, par une mobilité forcée voire un licenciement. Dans la lignée de la convention adoptée à l'OIT, la France doit sécuriser l'emploi et la carrière des victimes de violences, que celles-ci aient un lien avec le travail ou non, en mettant en place plusieurs mesures : le droit à des aménagements d'horaires, de poste, des congés payés, la possibilité d'une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie, ainsi que l'accès à une prise en charge médico-sociale et psychologique des victimes sans frais. Pour garantir le droit au travail et le maintien en poste des femmes victimes de violences conjugales, il convient d'interdire leur licenciement comme c'est le cas pour les victimes de violences au travail.
La Convention (n°190) de l'OIT pointe la nécessité d'accorder une attention particulière aux facteurs de risques exposant à la violence, comme le travail isolé, de nuit, et aux personnes en situation de vulnérabilité. Nous pensons que sa transposition dans le droit français est l'occasion d'adopter des mesures spécifiques pour protéger notamment les personnes migrantes, les personnes LGBTQI+ ainsi que les travailleurs précaires.
Enfin, la France a aussi une responsabilité à l'étranger à travers l'activité de ses multinationales. Dans le cadre du devoir de vigilance, il est nécessaire d'imposer aux entreprises de prévenir la survenance de telles violences dans l'ensemble de leurs chaînes d'approvisionnement.
En France comme dans le reste du monde, les violences tuent, brisent et humilient les femmes. Elles sont au fondement des rapports de domination. La ratification de cette Convention (n°190) de l'OIT offre l'opportunité d'y mettre fin en se dotant d'une législation et des moyens humains et financiers nécessaires.
Nous vous demandons, à l'instar de la CNCDH qu'une négociation tripartite en France soit rapidement organisée pour mettre en œuvre les instruments adoptés le 21 juin 2019.
Monsieur le Président, nous ne voulons pas de médaille. Nous voulons l'égalité et la fin des violences."